Chaque année, le 1er mai rythme le printemps d’un parfum de muguet et de cortèges syndicaux. Mais derrière la tradition, cette journée incarne bien plus qu’un simple jour férié ou une fête du travail : elle est le fruit d’une histoire de luttes, de conquêtes sociales et de symboles puissants. Alors que le malaise social s’accentue, que les inégalités se creusent et que la défiance envers le monde du travail grandit, il est temps de s’interroger : le 1er mai ne devrait-il pas redevenir une journée de mobilisation collective et de revendications sociales ?
Le 1er mai puise ses racines dans la lutte ouvrière du XIXe siècle. Tout commence à Chicago, en 1886. Les travailleurs américains, épuisés par des journées de 12 à 15 heures, lancent une grève générale pour obtenir la journée de 8 heures. La répression est sanglante : la manifestation du 4 mai tourne au drame, plusieurs ouvriers et policiers sont tués (Massacre de Haymarket Square). Ces événements marquent les esprits et, en 1889, la IIe Internationale socialiste fait du 1er mai la « Journée internationale des travailleurs », en hommage aux martyrs de Chicago. La date devient alors un symbole mondial de la lutte pour les droits des travailleurs.
En France, la première célébration du 1er mai a lieu en 1890. Rapidement, la journée s’impose comme un temps fort des revendications sociales : droit au repos, augmentation des salaires, protection sociale. Elle cristallise l’unité ouvrière, mais aussi la répression, comme à Fourmies en 1891, où la police tire sur les manifestants, faisant neuf morts, dont de nombreux jeunes.
Au fil des décennies, le 1er mai s’enrichit de symboles. L’églantine rouge, portée à la boutonnière, devient l’emblème des manifestants. Fleur des poètes et des révolutionnaires, elle rappelle Fabre d’Églantine, figure de la Révolution française, et s’impose dans le Nord industriel.
Mais au début du XXe siècle, une autre fleur s’invite : le muguet. Symbole de bonheur depuis Charles IX, au 16e siècle, il est d’abord offert dans les milieux bourgeois, avant d’être adopté par la jeunesse parisienne. Sous le régime de Vichy, l’églantine rouge, jugée trop subversive, est bannie au profit du muguet, plus neutre et consensuel. Le 1er mai devient alors « Fête du Travail » et non plus « Journée des travailleurs ».
Ce glissement n’est pas anodin : il traduit une volonté de « blanchir » la fête, d’en gommer la dimension contestataire au profit d’un symbole d’espoir et de renouveau.
Pourtant, le contexte social actuel rappelle l’urgence de renouer avec l’esprit originel du 1er mai. Précarité, burn-out, perte de sens au travail, explosion des inégalités, crise du logement, montée de la pauvreté : les motifs de colère et d’espoir collectif ne manquent pas.
Plus d'un siècle plus tard, les revendications ont évolué, mais les aspirations fondamentales des travailleurs demeurent : dignité, reconnaissance et équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Les mouvements actuels pour la semaine de quatre jours, la flexibilité des horaires et le bien-être au travail s'inscrivent dans cette continuité. Ils témoignent d'une volonté de repenser le travail pour qu'il soit au service de l'humain, et non l'inverse.
L’entreprise, au-delà de son obligation légale de respect du 1er mai comme jour férié, a un rôle social majeur à jouer dans l’accompagnement des luttes et des revendications qui fondent cette journée.
Le 1er mai n’est pas qu’une date sur le calendrier. Il est le rappel que nos droits ont été conquis de haute lutte, et qu’ils restent fragiles. Derrière le parfum du muguet, il y a la mémoire des ouvriers de Chicago, des victimes de Fourmies, des anonymes qui ont arraché la journée de 8 heures, la retraite, la sécurité sociale.
À l’heure où la société traverse une crise profonde, il est urgent de réinventer le 1er mai comme une journée de solidarité, de luttes et de revendications. Pour que le muguet ne soit pas seulement un porte-bonheur, mais le symbole d’un printemps social à venir – y compris dans le monde du travail et au sein des entreprises, qui ont un rôle déterminant à jouer dans la construction d’une société plus juste et plus solidaire.
Ne serait-il pas temps de revenir à l’églantine rouge ?
Daphné Vlerick
Co-fondatrice de Pulsitive.impact